
Au minuit de la nuit, assise sur un banc,
J’ai vu un grand arbre vêtu tout de blanc;
Au vent du froid printanier que balaye le temps,
J’ai senti la caresse de l’air qu’enchantent les pénitents.
Au moment où la pluie chante dans les branches,
J’ai entendu la voix des femmes sans dimanche,
Qui, aux mémoires des faits d’homme, meurent.
Aux stigmates du temps se nouent les pleurs.
Au minuit de ma mémoire, j’ai vu une ombre,
Frôlant les murs de Bruges à ses canaux si sombres ;
Au creux de ses porches, j’ai vu des terreurs se pendre,
À la mémoire d’un homme noué à la mort, se pendre !
Elles étaient là, toutes ourlées de cheveux d’or, ondoyants,
Comme d’une vie terrifiée, à la mienne usée, malvoyantes,
Leurs mains labourant le visage ; Elle, sous les ponts,
Vit son double danser aux lunes des serments servis au faucon.
Sous le manteau noir des nuits agitées de nos cris,
Elle écrivit sous les étoiles le prénom de la vie,
Et aux rayons du soleil pria le retour de Vérité.
« Non ! elle ne peut être morte! » murmura l’Équité.
C’est aux heures des silences, fortes de leur murmure,
Qu’elles osèrent rayer la blessure de la morte voussure;
Aux arc-boutants des églises et à leurs vitraux citadelles
Aux porches des cathédrales et aux tombeaux de dentelle !
J’ai souffert leur nom, comme d’un oubli de honte
Qui transforma nos mémoires en d’ignobles refontes,
Que les greniers n’habillent ni d’araignées borderlines !
Ni de flammes à la mémoire de Pline aux tristes salines?
A l’envie de les connaître, elles, femmes des blessures,
A nos âmes endolories sous les mains qui raturent,
A nos égos comme à nos vies, tissées de volonté à ensevelir,
Nous entendons encore son chant plaintif d’un livre à lire.
N’a t-il eu de ses amours devenus que l’amère déconvenue
Des mensonges à professer, des femmes jetées nues,
À la pâture de ses fantasmes, nous voulant d’égos morts,
Qu’arbres et fleurs au sang si précieux s’avèrent nos efforts.
À la rose si sainte, à la mémoire de la vieille Bruges,
Opposa-t-il les feuilles de lierre aux crampons qui purgent,
Les passés sous les accroches enténébrant de ses vœux
Qu’il n’a pas vu les épines de la rose qui protègent leurs yeux.
Que de femmes défaites à son alitement sans fin,
Ne quittant pas la couche, ni la mansarde au matin,
Passant le temps, immobile, pour l’immobilité,
Répétant inlassablement de Bruges le geste de la mortalité !
Ressuscitées, au clair des volontés pleines comme une agnelle
Elles sont toutes là, dansant dans l’empyrée éternel et fraternel.
Au cœur palpitant des roses qui jamais ne fanent,
À leurs cœurs blessés, j’ai ressuscité l’Esprit qui point ne les damne.
Qu’elles furent Anne, Françoise, aux ailes de douleur
Et encore la jeune femme au vert sentier des forêts de fleurs,
Aucun homme n’a le droit de tuer l’esprit,
L’outil de l’Esprit à la main qui, pour leurs âmes, prie.
Bruges ! est achevé ton deuil au lit de tes berges sauvées !
Les perles sans collier à nos cordes aujourd’hui dénouées
Ne portent plus l’auréole des défaites renouvelées
L’homme va mourir aux rives de Bruges échevelée.
Poème de Béatrice Lukomski-Joly Illustration de Jean-Daniel Perrin